Fins méconnues de quelques classiques de la philosophie
Quel auteur n’a jamais eu à déplorer de se voir imposer des coupes par un éditeur ? Quelle pire douleur que d’être obligé de jeter à la poubelle des dizaines de pages noircies au prix d’heures d’efforts, tout ça parce qu’un inconnu les a jugées inutiles ? Deux choses peuvent cependant aider l’écrivain en herbe à relativiser. La première, c’est qu’en général les éditeurs savent ce qu’ils font et qu’un auteur est rarement le meilleur juge de son propre travail. La seconde, c’est que même les plus illustres penseurs se sont eux aussi vu imposer des coupes sans lesquelles leurs œuvres majeures n’auraient pas su s’arrêter au bon moment.
Voltaire, Candide
- Excipit de la version publiée : « Il faut cultiver notre jardin ».
- Dans le manuscrit original, long de 2 000 pages, le conte philosophique aujourd’hui connu de tous les lycéens n’était que le prologue d’un long traité de jardinage dans lequel Voltaire s’intéressait à l’augmentation des rendements des potagers. Les passages sur la bonne maturation des choux ont été salués par Madame du Deffand mais décriés par Rousseau, qui considérait que contraire la croissance contrôlée des végétaux était une forme barbare d’éducation végétale éloignant les brassicacées de leur état de nature.
Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe
- Excipit de la version publiée : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».
- Dans trois longs chapitres coupés par l’éditeur, Camus continuait en racontant la vie tranquille de Sisyphe, devenu représentant de commerce dans une entreprise de transport de pierre éco-responsable, entre barbecues en famille et promenades en vélo avec ses amis.
Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus
- Excipit de la version publiée : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ».
- Ce qui a été coupé : À l’origine, la célèbre conclusion, modifiée par l’auteur lui-même suite à la demande des personnes concernées, était « sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. Bon, allez, ok, je vous raconte ». Suivaient des dizaines de pages de ragots sordides sur les coucheries de la bonne société viennoise.