Ambroise Garel

Une enquête de l’inspecteur Garcia, policier madrilène

L’annonce d’une nouvelle pièce d’Alejandro Hablador est toujours un événement dans le milieu de la littérature hispanique. Sa dernière oeuvre, El Asesinato del Señor Miguel González (L’Assassinat de Señor Miguel González), dont la première aura lieu le mois prochain au théâtre royal de Madrid, ne décevra pas ses admirateurs. Intrigue policière et satire de la bonne société espagnole, El Asesinato prouve également, plus encore que ses pièces précédentes, que pour Hablador les mots ne se contentent pas de décrire le monde mais en constituent l’essence profonde. Mais plutôt que de continuer à gloser sur une œuvre qui doit avant tout être vue et lue, nous avons préféré, en exclusivité mondiale, vous donner à lire quelques extraits de sa traduction par Antoinette Mahaut-Mahaut, qui paraîtra prochainement aux éditions du Parpaing.

Le premier extrait est tiré du début de la pièce. Le corps de Miguel González, un riche financier, a été retrouvé dans sa vaste propriété de Pozuelo de Alarcón. Sa femme Concepción étant en voyage, il s’y trouvait seul en compagnie de ses quatre filles Approbación, Denegación, Certificación et Perturbación et du personnel de maison. L’inspecteur Garcia, de la brigade criminelle, vient d’arriver sur les lieux et mène l’enquête.

ACTE I Scène 2
Le grand hall de la propriété des González

L’inspecteur Garcia, Approbación González, Denegación González, Certificación González et Perturbación González

INSPECTEUR GARCIA : Tout d’abord mesdemoiselles, je tiens à vous adresser mes condoléances. Je sais comme ces moments doivent être douloureux pour vous, je vais tout faire pour que ces formalités se déroulent le plus rapidement possible et vous laisser à votre deuil. Commençons par nous assurer de quelques points essentiels. (à Approbación) Vous étiez bien présente hier soir à l’heure supposée du crime ?
APPROBACIÓN : Oui.
INSPECTEUR GARCIA : (à Denegación) Vous aussi ?
DENEGACIÓN : Non.
INSPECTEUR GARCIA : Ah bon ? Pourtant il me semblait que…
CERTIFICACIÓN : Elle n’était pas là, non.
PERTURBACIÓN : Si, elle était là.
INSPECTEUR GARCIA : (troublé) Bon bon. Attendez. Reprenons. (À Denegación) Donc vous me dites qu’hier, vous étiez sortie de la maison.
DENEGACIÓN : Non.
INSPECTEUR GARCIA : (à Certificación) Vous confirmez ?
CERTIFICACIÓN : Oui.
INSPECTEUR GARCIA : Bon bon bon. (Prenant des notes dans son carnet) Vous étiez là. Soyez attentives s’il vous plaît mesdemoiselles, je sais que c’est difficile mais de la précision de vos réponses dépend toute l’enquête. Est-ce que vous avez remarqué quelque chose d’anormal chez votre père dernièrement ? Semblait-il inquiet ?
DENEGACIÓN : Non.
PERTURBACIÓN : Si, il l’était.
INSPECTEUR GARCIA : Ah oui ? (À Approbación) Vous êtes du même avis ?
APPROBACIÓN : Oui.
INSPECTEUR GARCIA : (À Certificación) Et vous ?
CERTIFICACIÓN : Je suis d’accord avec ma sœur.
INSPECTEUR GARCIA : (À Denegación) Qu’est-ce qui le travaillait ? Des problèmes d’argent ?
DENEGACIÓN : Non.
INSPECTEUR GARCIA : Lui connaissiez-vous des ennemis ?
DENEGACIÓN : Non.
INSPECTEUR GARCIA : Il s’entendait bien avec votre mère ?
DENEGACIÓN : Non.
INSPECTEUR GARCIA : Ah oui ? Pouvez-vous m’en dire davantage ?
DENEGACIÓN : Non.
INSPECTEUR GARCIA : Je comprends, cela doit être douloureux.
PERTURBACIÓN : Je ne suis pas d’accord !
INSPECTEUR GARCIA : (Interdit) Comment ça ? Je ne comprends pas.
CERTIFICACIÓN : En effet, vous ne comprenez pas.

Le deuxième extrait se situe bien plus tard dans l’intrigue, alors que l’inspecteur Garcia, à bout de nerfs après avoir achevé l’interrogatoire des filles de Miguel González, s’intéresse maintenant au témoignage du personnel de maison.

ACTE XVIII Scène 62
Les quartiers du personnel de maison
L’inspecteur Garcia, les quatre bonnes Accusación, Descripción, Moderación et Dolores

INSPECTEUR GARCIA : (hirsute, épuisé) Les filles de monsieur González m’ont parlé de désaccords entre lui et sa femme. Savez-vous quelque chose à ce sujet ?
ELABORACIÓN : (pleurant dans son mouchoir) Oh, le pauvre Señor Miguel, terrible malheur. Quelle tragédie ! Vous savez, ça a été dur entre eux depuis la mort de leur fille, ça n’était que pleurs et disputes et…
INSPECTEUR GARCIA : Leur fille ? Ils avaient une cinquième fille ?
ELABORACIÓN : Oui monsieur, une fille. Une pauvre enfant, née toute chétive, très malade, morte à même pas un an. La petite Misconcepción. Tout le monde disait qu’elle ne survivrait pas. Moi-même en la voyant sur son petit lit je me disais, oh seigneur Dieu cette enfant ne survivra pas. Et regardez, un an plus tard, même pas un an plus tard, eh bien Dieu l’a rappelée à lui et…
INSPECTEUR GARCIA : C’est horrible en effet. Je suis désolé de l’apprendre.
ACCUSACIÓN : Elle l’a tué ! C’est elle, elle l’a tué ! Elle a tué sa fille !
MODERACIÓN : Voyons, calme-toi !
INSPECTEUR GARCIA : (à Accusación) Pardon, excusez-moi ? Il ne s’agissait pas d’une mort naturelle ?
ACCUSACIÓN : Elle l’a tué ! Elle l’a tué !
INSPECTEUR GARCIA : Mais de qui parlez-vous ?
ELABORACIÓN : Elle parle de la señora Concepción, la femme de señor Miguel. Ma vie entière, que j’ai passée à servir ces deux…
ACCUSACIÓN : Señor Miguel ? Lui aussi il l’a tué ! Il a tué sa fille ! Il a tué sa fille !
MODERACIÓN : Calme-toi, Accusacion, tu fais peur à l’inspecteur.
INSPECTEUR GARCIA : Non, laissez-la parler. (À Accusación) Vous affirmez que le Señor et la Señora González ont tué leur fille ? Vous êtes consciente qu’il s’agit d’accusations très grave ? Avez-vous des preuves de ce que vous affirmez ?
ACCUSACIÓN : (hurlant, secouée de spasmes) VOUS AUSSI ! VOUS AUSSI VOUS L’AVEZ TUÉE !
INSPECTEUR GARCIA : Mais qu’est-ce que ??
DOLORES : (entrant en courant par la porte de droite, hurlant elle aussi) AAAAHH ! J’AI MAL !!! J’AI TELLEMENT MAL !!!
INSPECTEUR GARCIA : (absolument horrifié) Mais qu’est-ce que c’est que cette maison de fous ?

El Asesinato del Señor Miguel González, de Alejandro Hablador, ouvrira la prochaine saison du théâtre royal de Madrid. Mise en scène de Susana Laboriosa, durée 16h47 incluant un entracte de trois minutes.