Ambroise Garel

Le phénomène des Fathers I’d Like to Kill

Dans son dernier rapport, sombrement intitulé Halte-là : Internet et ses dangers, le Haut conseil à la morale publique dresse une fois encore un portrait particulièrement inquiétant de l’évolution du contenu auquel sont confrontés les internautes français et en particuliers les enfants.

Entre autres constats hautement préoccupants, le Haut conseil remarque l’apparition, sur certains sites pornographiques, d’une nouvelle catégorie de vidéos dont la violence dépasse tout ce que l’industrie du X, pourtant pas avare d’horreurs, a pu produire jusqu’ici : les FILK, ou “Fathers I’d Like to Kill” (« pères que j’aimerais tuer »).

Dans cette nouvelle catégorie, pendant masculin des MILF (“Mothers I’d like to fuck”, « mères que j’aimerais baiser », tag si célèbre que son usage est passé dans le langage courant), on trouve des vidéos de pères de famille ordinaires, grisonnants et bedonnants, qui s’adonnent à des activités à première vue innocentes, comme tondre leur pelouse ou bricoler dans leur garage pendant le weekend.

Capture d'écran d'un site FILK

Le caractère en apparence anodin de ces vidéos ne doit pas nous induire en erreur. « Il s’agit de la dernière étape d’un processus de libération des pulsions incestueuses », explique Gisèle Schlimme-Vogt, psychanalyste et chargée de cours à l'Institut freudien de névrose appliquée (IFNA), « l’aboutissement d’une élaboration oedipienne qui devrait toutes et tous nous inquiéter. »

Mais qui sont au juste les hommes qui figurent sur ces vidéos ? Pourquoi choisissent-t-ils de s’exhiber ainsi sur le web ? Pour Philippe, 52 ans, l’argent est la première motivation. « C’est très rentable. Je n’ai même pas besoin de me préparer ou de m’habiller de façon spéciale, j’allume ma webcam, je me filme en train de réparer mes toilettes ou de regarder un match de foot et les tips commencent à tomber. » Un moyen pour lui de se payer les choses qui font envie aux gens de son âge. « J’ai pu m’acheter la moto BMW que je voulais et aussi les accessoires qui me manquaient pour le train électrique miniature que je bricole dans la cave. » Un moyen aussi de se sentir libre et d’affirmer son agentivité. « C’est mon argent, je l’ai gagné avec mon corps. Ma femme et mes enfants n’ont rien à dire si j’ai envie de l’utiliser pour m’acheter un vélo de course en carbone. »

Signe d’une génération qui a perdu tous ses repères, le jugement moral de la société ne semble avoir aucune prise sur ces hommes, qui voient dans leur travail de camdad une activité comme une autre. Thierry, 49 ans, va même plus loin. « Oui, je me filme sur Internet, et alors ? L’alternative, ce serait quoi ? Bosser pour un petit chef dans une SSII ? Je gagnerais moins et je serais moins libre de mes horaires », nous explique cet ancien ingénieur informaticien, bientôt quinquagénaire, en remontant le volume de sa platine vinyle sur laquelle tourne en boucle Kill 'Em All de Metallica.

Le travail de camdad, pourtant, comporte des risques. Sans parler des réseaux de proxénètes qui, flairant une nouvelle tendance, font miroiter de belles promesses à des pères récemment divorcés et les contraignent à des pratiques de plus en plus extrêmes (oenologie, golf, obtention du permis côtier…), les spectateurs eux-mêmes peuvent se révéler dangereux. « Oui, raconte Gilles, 44 ans, on tombe parfois sur des tarés qui ne comprennent pas qu’il s’agit d’une fiction. Ils veulent nous rencontrer, nous menacent parfois vraiment de nous tuer. Mais ça fait partie du métier, on l’accepte. »

Que faut-il donc penser de ce nouveau phénomène ? S’il n’est bien sûr pas question de remettre en question les pratiques réalisés entre adultes consentants, reste un fait troublant : plus de la moitié des garçons âgés de douze ans auraient déjà vu l’une de ces vidéos. Avec quel effet sur leur psyché encore très fragile ? Mattéo, élève de quatrième, nous aide à relativiser. S’il reconnaît que lui et ses amis s’échangent ce genre de films pendant la récréation, il n’a pas pour autant envie de reproduire les actes qu’il voit à l’écran. « Ah non, pas du tout. C’est pas de mon âge, et puis on sait bien que ce n’est pas comme ça dans la vie, que tout ça c’est des vidéos montées, même en étant bon bricoleur personne ne peut installer une étagère aussi vite. » Pourquoi les regarder alors ? « Je sais pas, c’est rigolo et ça défoule un peu aussi. Quand je vois tous ces vieux qui se filment en train de faire des choses super ennuyeuses, j’ai un peu pitié et j’ai moins envie de tuer mon père à moi quand il m’énerve. » Peut-être, finalement, les FILK ont-ils une vertu cathartique.

Reste une dernière question : qu’en est-il des filles ? On les sait moins réceptives à ce genre de vidéos. Manon, dans la même classe que Mattéo, le confirme : « Ah c’est dégoûtant ! Je ne regarde jamais ça, c’est vraiment un truc de garçons. Et puis ça fait pas vrai du tout de toute façon, c’est des vieux messieurs qui font tiep, alors que mon père il est trop bien. » Un témoignage qui ne nous a rassuré que peu de temps. Alors que nous nous apprêtions à boucler cet article, le site du Haut conseil à la morale publique a publié une mise en garde concernant le site Electre.xxx et sa catéogire MILK, destinée aux jeunes filles, qui met en scène des femmes quadragénaires particulièrement pathétiques afin d’exciter la détestation des adolescentes.